Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, je commencerai par rappeler le parcours de Thérèse Menot: fille d’un cheminot engagé dans Résistance-Fer de Pierre-Buffière, elle travailla de 1940 à 1942 aux Assurances sociales puis à Gnome et Rhône. Contactée par Planteligne, Thérèse distribue La Vie ouvrière. Elle rejoint l’A.S. Combat et dérobe des cartes de travail vierges dans le bureau du chef du personnel -qu’elle signale comme « très à l’écoute de la préfecture »- pour fournir à des jeunes peu désireux de partir en Allemagne des faux justificatifs d’emploi. Thérèse évoluait dans un milieu particulièrement dangereux, où se côtoyaient indécis, collaborateurs et saboteurs. Dénoncée, elle est arrêtée par la gestapo le 4 janvier 1944 sur son lieu de travail et déportée à Ravensbrück. Dans le livre « Visages de la résistance 1940 - 1944 », paru chez Lucien Souny, Thérèse a rappelé le rôle des femmes dans le conflit et dans la résistance: femmes de cheminots, institutrices, postières, commerçantes ou paysannes. Et à travers elle aujourd’hui, nous rendons hommage non seulement à la résistance, non seulement aux déportés, mais en même temps à ces femmes-citoyennes, qui n’avaient pas le droit de vote avant la guerre mais se sont battues pour libérer la France. Et tout au long de sa vie, Thérèse a milité pour la reconnaissance des droits de la femme.
A partir de son arrestation, Thérèse Menot est aux prises directes avec la barbarie: coups, emprisonnement, camp de Compiègne, et déportation en wagon à bestiaux, où meurent déjà des malheureuses. 980 femmes à jeun dans un wagon où l‘air est vicié. Et puis c’est l’arrivée à Ravensbrück, où il fait - 27° et où les femmes S.S. hurlent et frappent, c’est le choc terrible de la rencontre avec des êtres faméliques, presque des spectres, pieds nus dans la neige. La dysenterie, le typhus. Les crânes tondus, les punitions, les humiliations, et toujours la schlague. Tout cela, Thérèse le vivait avec son amie Neige, républicaine espagnole. Le travail forcé, l’assèchement des marais, les pieds dans l’eau froide. Et à nouveau un voyage en train, vers les monts de Bohême et une usine de munitions où les déportées firent ce qu’elles pouvaient pour saboter le travail. Thérèse, jugée trop forte tête, fut envoyée pour déblayer les chemins enneigés de la forêt. L’une des choses qui permettait de garder la tête haute, c’était la poésie, c’était une femme qui récitait Verlaine, Rimbaud ou Victor Hugo. Et puis vint, après toute cette souffrance, la Libération et le retour à Limoges en mai 1945 et déjà, l’incompréhensible, cette femme croisée qui lui lance: « Elle était maligne la petite, mais les boches l’ont dressée! » La tristesse aussi, puisque son père est mort. Et la stupéfaction quand, de retour à l’Arsenal, elle est confrontée la gêne et à l’ingratitude de ses collègues.
Depuis son retour, Thérèse Menot n’a cessé de témoigner, inlassablement, avec détermination et en même temps avec modestie, ce qui est ô combien à son honneur, de cette barbarie qu’elle avait connue, notamment auprès des jeunes générations, particulièrement dans les établissements scolaires. Avec mes grands-parents qui eux-mêmes fabriquaient des faux-papiers, avec mes parents qui m’accompagnaient à Oradour, avec quelques autres témoins rencontrés dans mon enfance et mon adolescence, lorsqu’élève au collège Donzelot ou au Lycée Gay-Lussac, je participais au concours de la résistance, elle a sans nul doute participé à ma vocation de professeur d’histoire. Et depuis que j’exerce ce métier, j’ai toujours fait en sorte que mes élèves entendent à leur tour ces témoignages qui nourrissent notre connaissance de l’histoire, que ce soit le témoignage direct, les enregistrements ou les écrits… Ici se rencontrent devoir de mémoire et travail d’histoire. L’an passé, avec les élèves du collège Maupassant participant au concours de la résistance, nous avons invité Thérèse Menot à venir témoigner, une nouvelle fois. Ce qui nous a tous frappé et atterré, à la fin de son intervention, c’est quand elle nous a dit recevoir toujours des lettres anonymes d’insultes et de menaces. La bête immonde bouge encore et l’actualité récente nous le montre - la résistance est donc toujours nécessaire et son idéal à ne jamais oublier. C’est pourquoi nous avons souhaité, avec les élèves, rendre hommage aux résistants et aux déportés en donnant le nom de Thérèse Menot à une salle du collège. C’est chose faite aujourd’hui et le fait d’y associer le nom de Lucien Berdasé, résistant limougeaud de la première heure, reconnu « Juste parmi les nations » conforte ce souci et cet hommage. Je n’oublie pas non plus aujourd’hui dans ce collège qui porte son nom, que Guy de Maupassant montra dans « Bel Ami » comment l’antisémitisme peut gangrener une société - celle où éclata l’affaire Dreyfus, l’un des jalons, si l’on veut, vers l’horreur dont nous venons de parler.
Permettez-moi de citer en conclusion un autre résistant, René Char et ses Feuillets d’Hypnos:
« On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. »
Et puis je voudrais faire un cadeau à Thérèse Menot, qui a repris vie en créant en 1948 l’équipe de basket féminine de l’Arsenal, un ballon qui est comme la fraternité, parce qu’on se le passe de mains en mains, qui est aussi comme le symbole de la résistance: il faut garder l’initiative, être combatif contre ceux qui veulent vous intercepter, et aller jusqu’à son but…
Laurent Bourdelas, 1er mars 2006.